L’envers du futur - juin 1998

Daniel Ichbiah

Le papier électronique est le futur des quotidiens

 

Le papier est clairement plus fort que l’ordinateur. Quelles que soient les évolutions technologiques, il demeure l’une des finalités essentielles du traitement informatique. L’ordinateur a certes relégué la machine à écrire au rang des antiquités. Mais le traitement de texte, la PAO et même Internet n’ont fait qu’accroître la production mondiale de documents sur papier. Connaissez-vous beaucoup de gens qui aiment lire sur un écran ?

Une telle résistance de ces feuilles issues de substances végétales est aisément explicable au vu de l’efficacité d’une telle technologie. Un livre ou un bloc-notes sont aisément transportables, utilisables n’importe quand et où, sans qu’il soit nécessaire de trouver une prise, d’allumer une machine, d’attendre que le système se charge... Qui plus est, leur coût est réduit.

Pourtant, l’ordinateur a de nombreux atouts. En premier lieu, un usage généralisé des écrans permettrait d’économiser le papier et partant, les précieux arbres abattus pour le produire. La chose est d’autant plus vraie qu’un énorme gaspillage existe. Sur les centaines de millions de quotidiens diffusés de par le monde, un nombre énorme est invendu, et les lecteurs n’en parcourent souvent que quelques pages. D’autre part, si une information cruciale évolue, l’ordinateur est capable de le refléter à la minute près. Des dizaines d’autres arguments existent - à l’écran, il ne faut que quelques secondes pour retrouver où l’on a parlé pour la première fois d’un personnage, etc. Contentons-nous cependant des deux premiers facteurs : réduction du gaspillage et capacité à renouveler à volonté l’information.

Nous obtenons le champ d’action idéal d’un éventuel papier électronique : tout ce qui est, par nature, éphémère. Les quotidiens, l’immense majorité des magazines, les catalogues, les panneaux d’affichage publicitaire, les supports de posters ou même de papier peint, etc.. Si l’on économisait ne serait-ce que cette production, une économie considérable pourrait être accomplie au niveau écologique.

Au Medialab, laboratoire de recherches expérimentale de Boston, un homme travaille à définir un support qui serait aussi aisément transportable que nos magazines actuels, avec des capacités similaires à celles d’un ordinateur relié à Internet. Agé de 32 ans, il s’appelle Joe Jacobson. Son concept repose sur des millions de micro-particules à deux teintes, insérées dans une feuille de papier classique et recouvertes d’une grille de lignes conductrices, capables de faire pivoter les micro-particules. Ce procédé permettrait de créer l’équivalent d’un papier dynamique, d’abord monochrome, puis couleur. Une minuscule pile en assurerait l’alimentation. Jacobson estime qu’il devrait être possible de transformer certains « points conducteurs » en antenne radios ou transistors radios. Un magazine pouvait donc voir certains contenus évoluer en cours de journées, comme les pages boursières.

Un grand nombre de problèmes chimiques et électroniques doivent être résolus pour que le brevet déposé par Jacobson devienne réalité. Mais l’ingénieur ne désespère de produire une matière aussi fine, souple et maniable que le papier du magazine que vous tenez actuellement dans les mains.

L’une des idées brillantes de Jacobson consisterait à réellement simuler les supports que nous apprécions aujourd’hui. Ainsi, il rejette le modèle d’un seul écran dans lequel nous ferions défiler les pages en cliquant sur un onglet. Il pense qu’il sera préférable de proposer de véritables magazines avec par exemple, une centaine de pages électroniques. Selon lui, le fait de tourner une page est un acte apprécié par le lecteur, qui favorise l’orientation au sein d’un texte, permet de se référer aisément à la page précédente, etc. Chacune de ces feuilles disposerait donc de sa propre batterie, sachant que les micro-particules ne nécessiteraient qu’une alimentation minimale.

Aurions-nous également là, le support des livres du futur et autres supports en principe destinés à durer ? Il est permis d’en douter, et ce, pendant encore longtemps. Le papier conserve un atout essentiel, il a fait preuve de sa capacité de conservation à travers les siècles. Tout support nécessitant une alimentation, un logiciel sous-jacent, des composants pose le problème de la pérennité de tels éléments. Qui pourrait affirmer que nous disposerons encore, dans 200 ans, de machines permettant à tout un chacun de lire nos disquettes, disques durs et CD-ROMs actuels ? Le papier électronique devra d’abord faire ses preuves de résistance au temps, faute de quoi le réflexe spontané pourrait être de... vouloir imprimer son contenu.

 

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