L’envers du futur - février 1998

Et plus si affinités... / Badges actifs

 

Les « badges actifs » ont pris naissance à l’université de Toronto et aussi, en parallèle, au centre de recherches de Xerox à Palo Alto. A la différence des simple badges électroniques permettant d’autoriser la circulation à l’intérieur d’une entreprise, les badges actifs sont porteurs d’informations sur leur propriétaire et peuvent communiquer avec le monde extérieur.

Un exemple d’application pratique sera plus parlant qu’une longue explication. Si au sein d’une entreprise, Martin, qui se sait distrait, désire éviter d’oublier de parler mot à Joe, il peut indiquer le nom de cet autre employé à son badge. Par la suite, lorsque Martin marche dans le couloir, s’il croise Joe, leurs insignes respectifs émettent un signal. Même s’il est perdu dans ses pensées, Martin se voit ainsi rappeler qu’il doit s’entretenir avec ce collègue.

Les badges actifs se voient promis à un avenir beaucoup plus large, car ils peuvent servir de marque d’identité ambulante, et comporter des éléments caractéristiques du porteur. Une telle technologie pourrait se répandre aussi bien dans les entreprises, que dans la société toute entière.

Prenons le cas d’un tableau d’affichage pour les employés. Ordinairement, il présente toutes les informations en vrac. Or, Sara se sent avant tout concernée par les places de théâtre et réductions de billets de voyage. Antony, pour sa part, désire être au fait de toutes les nouvelles sportives. Si le tableau d’affichage est électronique, il peut tout à fait afficher les seules informations intéressant un employé particulier, au moment où il passe devant, ou tout au moins faire ressortir ces données de façon plus voyante. Chacun serait bien évidemment libre de reprogrammer le badge actif à volonté.

Il est possible d’aller encore plus loin et d’utiliser cet insigne électronique comme élément permettant de briser plus facilement la glace au cours d’une réunion sociale. Imaginons une convention réunissant des collectionneurs de CD en tous genre. Chaque participant pourrait porter un badge indiquant à quel degré il apprécie le blues, la techno, la musique classique, le jazz, etc. Pendant les cocktails, lorsque deux individus se croiseraient, les badges s’éclaireraient plus ou moins afin d’indiquer une similitude de goût. Deux inconditionnels de la musique country pourraient se repérer mutuellement au cours d’une telle soirée et engager une conversation passionnée sur leurs joueurs préférés de pedal steel. Certains pourraient arguer de ce qu’un tel gadget amènerait à former des clans au lieu de favoriser des rencontres spontanées. Mais il y a aussi des gens qui seraient ravis d’entrer en contact, du fait qu’ils observent avec amusement qu’ils ont des goûts totalement différents.

Comment pourraient fonctionner de tels badges au niveau de la société ? Pour l’apprécier, le mieux consiste à parler d’une expérience existant sur le Web et appelée Firefly. Sur ce site, des internautes peuvent être mis en contact sur la base de leurs goûts respectifs. Pour opérer ses déductions, Firefly applique le principe des extrapolations. En analysant ses bases de données, il va découvrir par exemple que les gens qui aiment les groupes Oasis et The Verve et qui ont par ailleurs apprécié des films tels que Trainspotting et My beautiful laundrette, aiment généralement les romans de Paul Auster. Il peut donc conseiller à l’internaute qui indique certaines affinités artistiques d’autres oeuvres qu’il devrait logiquement apprécier. S’il s’est trompé - si on lui répond « raté, je n’aime pas beaucoup tel disque » - il enregistre une telle information et s’en sert pour affiner ses analyses suivantes, ce qui le rend chaque jour plus avisé. Et ce qui est intéressant, c’est qu’au bout d’un moment Firefly peut mettre en contact des gens ne se connaissant ni d’Eve ni d’Adam, estimant qu’ils ont de fortes chances de s’entendre.

Appliquons le système de Firefly au niveau collectif. Pour qu’il soit tolérable, il faudrait en premier lieu que chacun puisse « éteindre » son badge actif à tout moment. S’il le laisse « ouvert », cela aurait donc pour signification implicite « je suis ouvert à la rencontre ». Dans un wagon de train, un voyageur saurait alors que quelques compartiments plus loin, se trouve un autre passager intéressé comme lui par des sujets tels que l’informatique, le golf et le bridge. Le badge actif permettrait ainsi de rencontrer d’autres passionnés, un peu comme le permettent les forums d’AOL ou d’Internet, mais dans le monde réel. Il permettrait notamment d’égayer les transports en commun en favorisant les contacts. Sans nul doute, tôt ou tard, des couples témoigneront qu’ils se sont rencontrés grâce à cette application sociabilisante de l’informatique.

 

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