L’envers du futur - décembre 97 - Daniel Ichbiah

Love on the net

 

L’écriture de chroniques telles que celle-ci me met régulièrement en contact avec des futurologues de tous poils. Tous fondent leurs prédictions sur des travaux réels en cours, ce qui permet d’accorder un certain crédit à leurs dires. De nombreux esprits supérieurement audacieux me font part d’hypothèses pour le moins déroutantes. Mais jusqu'à présent, aucun d’entre eux n’est allé aussi loin que Bill Spence.

Habitant d’Honolulu, Spence est le fondateur et le rédacteur en chef du Nano Technology Magazine. En tant que tel, il accueille dans ses colonnes les plus grands ingénieurs et théoriciens de la nano-technologie. Ce domaine, fondée sur les thèses de Richard Feinman (Nobelisé en 1966) et sur celles de Eric Drexler qui les a approfondi dans plusieurs écrits de référence, ambitionne de construire des objets en partant de l’atome.

De par sa position, Spence est un récepteur / catalyseur de la pensée nano-technologique, les  spécialistes du genre étant invités à s’exprimer librement dans ses colonnes. Et Spence, pour sa part, joue un rôle de vulgarisateur, extirpant du lot tout ce qui est trop technique pour n’en retenir que les applications appelées à changer notre vie.

Quel que soit le sujet abordé, le rédacteur en chef du Nano Technology Magazine a une réponse, qui passe bien évidemment par cette intrusion de machines aux composants microscopiques dans notre environnement. Au fil du temps, la relation épistolaire (par Email, évidemment) est devenue suffisamment cordiale pour qu’il soit possible d’aborder tous les sujets possibles et imaginables. Un jour, donc, je me suis enhardi à demander comment il voyait évoluer les relations amoureuses dans le futur, étant bien entendu qu’il intègrerait la nano-technologie dans l’équation. Sa réponse a dépassé tout ce que j’aurais pu attendre.

Spence évoque un “ utilitaire ” que chacun devrait posséder tôt ou tard et composé de trillions de nano-ordinateurs invisibles formant une sorte de brouillard presque invisible dans une partie de la pièce. Ces ordinateurs d’échelle atomique seraient programmés de façon à pouvoir simuler la forme de n’importe quel objet en joignant des petits bras situés sur leur périphérie, et n’importe quelle texture. Parmi les applications envisagées par Bill pour ce Utility Fog (brouillard utilitaire), figurent l’amour à distance ! Laissons la parole à maître Spence...

“ Si vous et votre amoureux éloigné êtes environné par cet utilitaire et connecté à un super internet, alors les choses deviennent intéressantes. Le Utility Fog peut être programmé en vue de reproduire à distance le corps de votre partenaire, chaque clignement d’yeux, chaque mouvement. Vous-mêmes, faites l’objet d’une simulation à l’autre bout de la ligne. Votre amant(e) est si bien simulé(e) que même la sensation de la chevelure est identique à celle de la vie courante. La voix et les sons sont transmis instantanément grâce à la fibre optique et à la vitesse de la lumière. Vous pourrez donc avoir des relations avec un partenaire situé à des milliers de kilomètres, avec la spontanéité et les sensations du réel ”.

Etonnant ? Nous sommes loin d’avoir eu l’intégralité de la vision de Spence. Le plus fantasque reste à venir. Car qui dit ordinateur et Internet sous-entend la possibilité de stocker des informations quelque part. Et, à en croire Spence, il serait dommage de s’en priver. : “ Etant donné que les nano-ordinateurs disposeront d’une capacité de stockage immense, il sera possible d’enregistrer fidèlement une telle séance, afin de la ‘rejouer’ à volonté.”

La nanotechnologie est encore à ses balbutiements et nul ne peut affirmer que la matière se pliera comme prévu selon les voies envisagées par les nano-technologues. Plusieurs percées de taille doivent se produire avant qu’il soit possible de construire ne serait-ce qu’une simple allumette selon l’itinéraire envisagé par cette science du lilliputien. Mais quel que soit le chemin employé, il est clair qu’il faut nous préparer à l’arrivée de matériaux “ intelligents ” tel que ce Utility Fog, envisagé par le Dr J Storrs Hall de la Rutgers University d’ailleurs destiné en premier lieu à des usages plus terre à terre : se transformer en tabouret de bar ou table basse.

Une telle vision semble extravagante par nos standards actuels, mais pour l’évaluer de façon juste, il faudrait parvenir à nous mettre dans la peau d’une personne du 19ème siècle à qui l’on aurait parlé de la télévision, d’Internet ou même simplement du téléphone. Dans un tel contexte, l’apparition d’un appareil aussi étonnant que le Utility Fog semble possible afin la fin du siècle prochain. Et d’ici là, les applications devraient dépasser ce que nous pouvons imaginer à l’heure actuelle.

 

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