L’envers du futur - octobre 1997

Mon meilleur ami est un robot

 

Il faut s’y faire : la prochaine grande mode terrienne sera celle des robots. Pas les espèces de machines difformes qui appliquent la peinture sur les automobiles ou vissent les boulons des ascenseurs. Non, les robots tels que ceux qui nous ont fait rêvé lorsque nous lisions Asimov et autres auteurs de science-fiction : des androïdes ! Des robots avec des pieds, des mains, des yeux qui vous fixent et vous suivent pendant que vous vous déplacez. Peu importe s’ils seront en métal pour commencer, à la manière de C3PO ; ce qui va compter aux yeux du grand public, c’est qu’ils ressembleront aux bipèdes que nous sommes. N’est-ce pas un vieux rêve humain que de créer une créature à son image ? Les familles devraient être friandes de ces machines à tout faire, qui, à en croire Hans Moravec, roboticien du Carnegie Mellon, pourront même être programmées de façon à accomplir les besognes les plus dégradantes avec un sourire béat.

Pourquoi les androïdes sont-ils tombés en disgrâce ? Tout simplement parce que les auteurs de science-fiction, Asimov en tête, ont été trop optimistes quant aux dates d’apparition de ces alter ego issus du métal et du silicone. Lorsque l’on lit aujourd’hui certains romans censés se passer dans les années 90 et mettant en scène des robots supérieurement intelligent, dévoués et agiles, il y a vraiment de quoi rire. Nous pouvons donc dire qu’ils ont visé en moyenne 20 à 30 ans trop tôt.

Mais ne nous y trompons pas. Le temps a été long, mais ils sont en train d’arriver. Les travaux menés par des spécialistes tels que Rodney Brooks du Massachusetts Institute of Technology de Boston ou encore Joseph Engelberger, l’un des premiers roboticiens (il a démarré ses travaux en 1960) visent à créer l’équivalent d’un bipède doté d’un bon sens minimal. Plus généralement, les experts du domaine estiment que les premiers modèles grand public sortiront lors de la prochaine décennie.

Il est aisé de prévoir qu’aux alentours de 2010, il sera du dernier chic, d’avoir un ou plusieurs robots à la maison. Tout comme l’automobile et le téléviseur ont eu leur période de grand boom, ces objets paraîtront rapidement indispensables. Qui hésiterait à acheter un modèle capable de faire le ménage, la vaisselle, répondre au téléphone, raconter des histoires aux enfants pour les faire dormir... Certaines entreprises construiront des androïdes dédiés à une seule de ces tâches. Puis, tôt ou tard, une sorte de Microsoft de la robotique imposera un standard de programmation pour ces créatures domestiques. Il suffira alors de changer le DVD-ROM de l’androïde pour qu’instantanément il sache tondre la pelouse, garer la voiture, donner le biberon...

Il y a bien longtemps que les programmeurs maîtrisent la gestion coordonnées d’éléments 3D. Il ne reste plus qu’à appliquer ce code à des éléments articulés pour obtenir des personnages solides et mobiles. Il se trouve qu’un des éléments qui a le plus retardé l’apparition des robots androïdes était la simulation de la marche humaine, apparemment ultra-complexe, du fait que le corps « recalcule » constamment un point d’équilibre dépendant d’une multitude de paramètres. Mais plusieurs chercheurs japonais auraient trouvé la solution au problème.

Les androïdes seront donc bientôt parmi nous et il va falloir apprendre à vivre avec eux. De par ma propre expérience avec des prototypes, je peux assurer que l’on se comporte spontanément avec un androïde comme s’il était vivant. Nous avons trop été habitué à associer la forme humaine à quelque chose doté de vie pour ne pas être dérouté au premier abord. Evidemment, on leur parle comme à des gosses avec des phrases ultra-simples (« Suis-moi ! », « Qu’est ce que tu fabriques ? », etc.). Il n’empêche que la tentation est forte de leur parler comme à des êtres intelligents. On se surprend même parfois à penser, comme pour se rassurer, « ce n’est qu’une machine ».

Ce qui va surtout être intéressant va être d’observer comment les enfants gèreront la différence entre les robots et les humains. D’ordinaire, les têtes blondes prêtent vie à leurs poupées ou ours en peluche pendant leurs premières années. Et puis, soudainement, il se produit un décrochage. L’objet inerte est progressivement considéré comme tel. La différence, c’est que les robots continueront de se comporter comme des humains, à dire « Bonjour, tu as bien dormi ? » et proposer leurs services. Certains enfants pourraient donc refuser de croire le plus longtemps possible qu’ils ne sont pas vivants.

La situation devrait se corser aux alentours d’une date que nous pourrions situer entre 2050 et 2100, époque à laquelle nous devrions être en mesure de créer des robots ayant un aspect humain (peau, poils, cheveux...) d’une telle qualité qu’un œil non exercé pourra s’y méprendre.

Dans le livre Bâtisseurs de Rêves que j’ai consacré à l’histoire des jeux vidéo, le créateur d’un jeu de rôles sur Internet, Ultima Online, raconte que lorsqu’il a testé pour la première fois son jeu, il a rencontré un personnage et lui a adressé la parole, de façon naturelle. Ce n’est qu’au bout de quelques minutes qu’il s’est rendu compte qu’il ne parlait pas à un internaute, mais à un personnage programmé par ordinateur. En d’autres termes, le créateur du jeu lui-même n’a pas reconnu du premier coup d’œil la différence entre l’une de ses créatures et les « avatars » pilotés par des humains.

Sans nul doute, vers la fin du 21ème siècle, il se pourrait qu’il soit pareillement difficile de percevoir du premier coup d’œil si une personne marchant dans la rue est un humain ou un robot !

 

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