L’envers du futur - septembre 1997

Civilisation numérique : transition laborieuse

Daniel Ichbiah

 

La transition vers la société numérique intelligente sera ardue. Le problème est simple : à l’échelle mondiale, l’adaptation de la civilisation entière pourrait prendre un bon siècle, sinon plus. Et pendant tout ce temps, il faudra prendre en compte la cohabitation d’un nouveau système avec l’ancien.

Prenons l’argent numérique. Sous sa forme la plus avancée, il se présentera sous la forme d’une petite carte multi-fonction qui ne reconnaîtra que son propriétaire, vraisemblablement par la détection des empreintes digitales, une technologie que la NASA maîtrise d’ores et déjà. L’un des arguments massue en faveur de cette cyber-monnaie serait que, en théorie, personne ne pourra voler votre argent ! A la différence des billets de banques, l’argent virtuel cessera tout simplement d’opérer entre des mains non autorisées. Il serait donc impossible d’acheter une Jaguar, un lave-vaisselle ou même une simple glace à partir d’une carte dérobée (à moins de dérober son propriétaire avec, mais cela augmente les chances de se faire remarquer !). Admettons toutefois que cette version futuriste de la monnaie se généralise... Il s’écoulera tout de même un long moment pendant lequel de nombreux commerçants ne seront pas équipés pour la traiter. Et même lorsque 99% du monde occidental sera passé à l’argent virtuel, il arrivera toujours que l’on débarque dans un petit village perdu dans lequel l’épicerie locale n’accepte que l’argent liquide à la mode du millénaire précédent. Et oui... Le grand problème de la civilisation numérique, c’est qu’elle nécessite la mise en place d’infrastructures de transmission des données, et les appareils adéquats.

Bon, dirons certains. Après tout, cette situation n’est pas très différente de ce que nous connaissons actuellement et qui amène à utiliser sa carte de crédit pour tirer de l’argent liquide à un distributeur, lorsqu’un établissement ne l’accepte pas pour paiement. Mais, pour certaines technologies, la transition sera plus complexe. C’est notamment le cas des voitures intelligentes qui dépendront le plus souvent de signaux envoyés par des capteurs situés en bordure de route. Dans un premier temps, comme il paraît difficile de faire cohabiter les véhicules assistés par ordinateurs et les modèles classiques, les urbanistes optent pour la création de voies séparées - ce sera par exemple le cas sur l’autoroute Tomei-2 qui reliera Tokyo à Nagoya vers l’an 2000. Mais comment réagira le conducteur d’un véhicule intelligent, habitué à une assistance qui aura eu tendance à assoupir ses réflexes naturels, lorsqu’il quittera l’autoroute “ cocoon ” ? Ne bénéficiant plus d’une assistance à la vision dans l’angle mort, sera-t-il davantage sujet aux collisions ? Quant à celui qui a opté pour un véhicule à pilotage totalement automatisé, comme il devrait en exister couramment aux alentours de 2010, que fera-t-il en cas de défaillance de l’ordinateur de bord ? Autant de scénarios intéressants qui devraient occuper les chroniqueurs pendant le début du nouveau siècle. Soit dit en passant, on ose à peine imaginer les casse-têtes qui risquent de survenir au niveau des assurances et des lois. Lors d’un carambolage, qui sera tenu responsables des conducteurs, des ordinateurs de bord, des capteurs situés sur le bord de la route, des éditeurs de logiciels.

C’est à l’intérieur du domicile que la plupart d’entre nous vivrons d’étonnantes situations au jour le jour. L’une des caractéristiques des futurs objets devrait être leur capacité à communiquer entre eux. Toutefois, il est bien entendu que rien ne devra distinguer un objet intelligent d’un autre (il serait disgracieux de leur apposer des marques spéciales !). Ainsi, lorsque nous passerons à l’heure d’été - ou son équivalent de 2.015 - le fait de régler sa montre mettra à jour tous les appareils de la maison comportant une horloge : horodateur du magnétoscope, de la télévision, etc. Tous, sauf peut-être le radio-réveil qu’affectionne la grand mère et qui, comme il fonctionne à l’ancienne, sonne une heure trop tard et lui fait manquer le train. Le voisin qui a perdu son chat réalisera qu’il lui avait mis par erreur le collier “ inerte ” et qu’il ne peut le localiser sur sa carte numérique. Madame, oubliant qu’elle utilise un fer à repasser non intelligent brûlera la chemise de Monsieur, etc. Le casse-tête de l’habitant sera le suivant : lesquels de mes objets sont intelligents et lesquels sont “ inertes ” ? Il pourrait être suffisamment pénible pour amener une partie de la population à rejeter longtemps ces objets informatisés, pour se rabattre sur ceux qui se contentent de solliciter l’intelligence et la vigilance de leur propriétaire.

 

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