Chronique L’envers du futur - juillet 97

Robot assisté par intelligence humaine

Daniel Ichbiah

 

Ah les robots... Incontournables dans la littérature des années 50, ils avaient pour l’essentiel disparu de la scène à de rares exceptions près (Star Wars, Robocop...). Aujourd’hui, de nombreux chercheurs s’accordent à penser qu’ils vont revenir à l’ordre du jour, avec il est vrai, plusieurs décennies de retard sur les dates anticipées par Asimov. Les prévisions demeurent cependant bien floues. Lors d’une récente édition, le magazine Wired a demandé à cinq spécialistes de la robotique d’indiquer la date à laquelle ils pensaient voir arriver certains spécimens mythiques. De manière étonnante, les réponses allaient de l’optimisme complet au scepticisme le plus total. Le robot qui nettoie la maison serait parmi nous dès l’année prochaine pour Rodney Brooks du M.I.T mais pas avant 2025 pour Richard Wallace de l’université de Lehig en Pennsylvanie. Le taxi auto-piloté apparaîtra en 2005 selon John Canny de l’université de Berkeley alors que Wallace le repousse à 2045. Toshio Fukuda, de l’université de Nagoya au Japon, estime que C-3PO deviendra réalité dès 2020 tandis que Joe Engelberg, l’un des pères de la robotique, doute que la réalisation d’un tel  androïde calquant son comportement sur le nôtre soit jamais possible !

Il est difficile d’estimer la validité de telles supputations car de nombreux obstacles techniques doivent encore être surmontés et aucune compagnie de la taille d’IBM, Sony ou Microsoft ne s’est engagée de tout son poids dans de telles entreprises. Pourtant, en attendant l’apparition d’androïdes totalement indépendants, l’une des façons de prendre le problème pourrait être de suivre l’exemple de Dan Bricklin, inventeur du premier tableur, VisiCalc, et plus récemment, impliqué dans les logiciels à reconnaissance d’écriture. Chacun sait - et plus particulièrement les utilisateurs du Newton - que les ordinateurs peinent à détecter la manière dont nous écrivons. Au début des années 90, Bricklin avait eu à ce propos un éclair de génie : “ Après tout, qu’importe si la machine ne reconnaît pas ce que j’écris, puisque moi je le reconnais ! ”. L’idée brillante était qu’une tablette de poche pouvait se contenter d’enregistrer les notes gribouillées sur l’écran, ce qui éliminait la nécessité d’un système de traduction en temps réel de ces signes en caractères alphanumériques.

En matière de robotique, nous pouvons pendant une période transitoire, appliquer le même principe : considérer que le software réside dans notre propre expertise et que le robot n’est qu’une interface étendant notre champ de perception et d’action. En ce sens, le robot téléguidé pourrait représenter l’une des formes ultérieures de l’ordinateur actuel, dont l’écran ne permet qu’une expérience fort limitée.

Les constructeurs de robots devraient s’acharner à développer les perceptions de ces machines (sonique en 3D à 360°, articulations, sensation de la température, du goût, des mouvements d’air, vue infra-rouge...), et à nous les restituer de façon fidèle ou modulable par le biais de combinaisons légères, de capteurs et d’instruments d’audiovision discrets. Les applications sont innombrables et certaines sont déjà en phase de test dans de nombreuses régions du globe. Toutes les tâches nécessitant d’intervenir dans des endroits à risque (sites nucléaires ou dotés d’une chaleur insupportable par nos corps, lieux dépourvus d’oxygène ou dotés d’une pesanteur différente) peuvent être accomplies à distance, comme si l’on y était. De nombreuses opérations militaires vont devenir sans danger et sans stress pour les soldats. Dans un secteur plus ludique, il sera possible de louer de participer à des jeux mettant en compétition des robots sur un terrain commun, les envoyer faire des courses, réparer un moteur ou même danser un slow avec une belle androïde elle-même téléguidée... L’intelligence informatique servira avant tout à superviser au mieux les mouvements de ces corps extérieurs et la capture d’informations de l’environnement, ce qui représente déjà une tâche immense.

Dans un deuxième temps, ces robots téléguidés pourraient être bâtis selon un standard permettant de piloter des modèles interchangeables n’importe où dans le monde, lesquels pourraient même adopter nos traits. Il sera alors possible de louer de tels robots pour visiter des villes étrangères avant de s’y rendre ou de prendre un cours de ski avant son départ pour Méribel. Ce sera bien mieux que les communautés virtuelles qui en regard, apparaissent comme un divertissement temporaire et expérimental.

 

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