Les ordinateurs invisibles

Daniel Ichbiah

 

Le marché des semi-conducteurs a représenté cent trente milliards de dollars l’an passé. Or, si l’on analyse ce chiffre, ressort un fait plus qu’intéressant : les micro-ordinateurs n’ont absorbé que 40% environ de ces puces de silicone. Où sont passées les autres ? Dans votre téléphone portable, dans les télécopieurs, automobiles, fours à micro-ondes, caméras... A l’intérieur de milliers d’ objets de la vie de tous les jours qui se comportent de plus en plus comme des ordinateurs, sans en avoir l’aspect.

Il se trouve que la Bourse américaine devient de plus en plus sensible à cette informatique « invisible ». Une récente estimation de Fortune recommandait d’investir dans deux firmes spécialisées dans le domaine : Geoworks et Integrated Systems. Toutes deux donc ont pour spécialité de concevoir des systèmes d’exploitations miniatures, adaptés aux objets assistés par ordinateur. Ainsi, c’est un logiciel de Geoworks qui équipe le téléphone cellulaire de Nokia capable de se connecter sur Internet.

Le système d’exploitation de Integrated Systems est beaucoup moins connu du grand public que MacOS ou Windows 95. Il est probable que vous ignorez son nom : pSOS. Pourtant, vous l’utilisez probablement plusieurs fois par jour, sans le savoir. Il est intégré dans les imprimantes et photocopieuses de Kodak et Xerox, dans les avions de ligne de Boeing, les produits électroménagers de Philips, les commutateurs d’Alcatel et dans un nombre à peine imaginable d’appareils grands ou petits, depuis les pompes à essence jusqu’aux pagers en passant par les distributeurs bancaires. Et pSOS pourrait même devenir le système d’exploitation universel du futur, celui qui équipera la plupart des « objets communiquants ».

A la différence des systèmes qui équipent nos micro-ordinateurs, pSOS est ridiculement compact : sa version standard n’occupe que  16 Ko ! Or, dans un tel espace, Integrated Systems est parvenu à intégrer la compatibilité Internet (HTML et Java). David St. Charles, qui préside Integrated Systems estime que nous sommes à l’aube d’une nouvelle ère en matière de société : celle où la communication et où la plupart des objets de tous les jours pourront être manipulés à distance en passant par le réseau.

La connectivité est partout : câble, satellite, relais cellulaires, liaisons infra-rouge, signaux radios de toute nature se répandent sur toute la surface du globe. Ajoutons une puce capteur/récepteur équipée d’un système tel que pSOS dans un appareil, et il deviendra possible de communiquer avec celui-ci de n’importe où, tout comme l’on consulte aujourd’hui sa messagerie électronique ou les pages du Web. Quelques exemples d’applications ? Le compteur d’électricité pourra être relevé à distance par l’EDF. Si l’on n’est pas sûr d’avoir éteint le gaz, il sera possible de le faire depuis son Macintosh de bureau ou même d’un ordinateur public - équivalent des cabines de téléphone actuelles. Une personne au cœur fragile pourrait porter un appareil susceptible d’informer automatiquement un centre de secours dès qu’une défaillance serait détectée. Un constructeur de photocopieuses pourrait effectuer le diagnostic de ses machines à distance: le centre de service serait automatiquement informé de la défaillance d’une pièce et pourrait la télé-réparer lorsque cela est possible.

Ce qui est certain, c’est que l’informatique et Internet doivent se fondre dans l’environnement si l’on veut qu’ils deviennent réellement des services de masse, comme le sont devenus l’électricité ou le téléphone. En d’autres termes, ils doivent à se faire oublier. Cela suppose également que l’informatique atteigne une fiabilité comparable au «zéro-défaut » cher aux japonais. Une qualité que nos micro-ordinateurs sont très loins d’avoir atteint : selon Dataquest, quelques deux cent millions d’appels sont effectués chaque années aux centres d’assistance technique. Or, une informatique omniprésente, intégrée aux objets de tous les jours, ne peut absolument pas se permettre le degré d’instabilité que les utilisateurs de Macintosh et PC tolèrent aujourd’hui. Qui s’aventurerait à conduire un véhicule intelligent présentant des défaillances. Il se trouve simplement que Apple, Microsoft ou IBM ont simplement habitué leurs utilisateurs à ce qui serait inadmissible ailleurs. Le magazine Wired rapporte à ce propos une saillie de Ken Kaplan, président de Microware, un autre éditeur de systèmes d’exploitation miniatures : « Les bugs ? Pour nous, ils sont un désastre sans nom ! Alors que pour les éditeurs de logiciels micro, ils représentent une source de revenus supplémentaire. Le bug de cette année appelle la mise à jour de l’année prochaine ».

 

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