Chronique MacWorld - mai 97

L’ordinateur public

Daniel Ichbiah

 

Quel est le plus grand problème avec les ordinateurs actuels ? Tout simplement le fait que l’on ne puisse pas les utiliser n’importe où. Certes, d’aucun argueront qu’il existe des modèles portatifs, voire même capables de se loger dans une poche. Mais cette informatique est là est trop peu maniable pour représenter une solution durable. Il n’est pas toujours possible de se balader avec un PowerBook afin de l’avoir à disposition à n’importe quel moment. Et le transfert des données qu’il est nécessaire d’effectuer entre les modèles de poche et les ordinateurs de bureau est souvent fastidieux, que ce soit par la lente liaison infra-rouge ou par câble.

L’informatique futuriste se devra de résoudre un tel problème une fois pour toutes. Or, il semble que le modèle le plus rationnel soit celui qui a été défini vers le début des années 90 par Mark Weiser, responsable des développements avancés au Xerox Parc de Palo Alto  et que nous baptiserons, faute de mieux, l’ordinateur « public ».

Pour comprendre le concept sous-jacent à un tel appareil, le mieux est de tenter une analogie avec trois objets bien connus : le poste de télévision, le récepteur radio et le téléphone. Dans les trois cas de figure, n’importe lequel de ces objets est en mesure de nous diffuser les informations exactes que nous désirons. N’importe quel téléphone en état de marche, y compris la plus vétuste des cabines située sur une route en plein désert permet d’obtenir le numéro souhaité. Et grâce aux réseaux satellitaires, un tel service sera même bientôt accessible à partir d’un téléphone portable où que l’on se trouve sur la planète. La télévision est plus limitée dans son rayonnement, mais, si tant est qu’un lieu dispose des moyens adéquats (câble ou satellite), n’importe quel poste permet de réceptionner les programmes désirés. La radio, pour sa part, a l’avantage d’offrir la réception uniforme de multiples stations dans des objets de taille très diverse. Par rapport à l’ordinateur, ces trois objets ont en commun une différence essentielle : les informations qui transitent sont totalement indépendantes de l’objet d’accueil.

L’ordinateur public défini au Xerox Parc repose sur une telle logique. Au sein de ce centre de recherches, il est possible à un ingénieur de saisir n’importe quelle tablette informatique d’un certain type et de retrouver instantanément les données qui lui sont propres. Et il se pourrait bien que le moment soit propice au développement d’un tel modèle à l’échelle de la société.

Comme il serait agréable, en marchant dans la rue, de pouvoir gagner la cabine la plus proche et d’avoir accès à un ordinateur public, qui donnerait accès à ses propres données : lieu exact d’un rendez-vous, information à rappeler à son interlocuteur, message attendu d’urgence... L’important étant de pouvoir accéder à ses informations personnelles n’importe où, depuis l’ordinateur d’un café, d’un kiosque, du taxi, de l’avion, de la chambre d’hôtel, etc. Voire même le cas échéant, depuis son propre ordinateur portatif !

Le temps est mûr pour une telle évolution, car avec la normalisation d’Internet, l’information peut circuler instantanément d’un bout à l’autre de la planète. Et les temps de réponse vont s’améliorer de manière considérable avec la généralisation de la fibre optique et des satellites. L’utilisation des navigateurs Web comme interface standard de développement devrait par ailleurs ouvrir la voie à des programmes utilisables sur n’importe quel système.

Le véritable problème demeure celui de la sécurité et de la facilité d’accès. Personne n’a envie d’entrer des mots de passe plusieurs fois par jour pour vérifier si un message est arrivé ou se rappeler l’heure exacte d’une réunion. Il paraît donc évident qu’il faudra tôt ou tard définir une norme de reconnaissance infaillible de l’utilisateur, qui pourrait être l’empreinte digitale du pouce par exemple. Le simple fait d’appuyer celui-ci sur une zone de détection fera apparaître instantanément son propre environnement de travail depuis un terminal quelconque. Un autre utilisateur ne pourrait jamais y accéder sauf si bien sûr il y a été autorisé.

Idéalement, de tels ordinateurs à la disposition de tous, auront les formes les plus diverses, ou bien viendront se loger dans toutes sortes d’objets. Ainsi, le téléviseur d’un ami pourra temporairement servir d’ordinateur. La montre et les lunettes pourraient également jouer ce rôle, tout en tenant compte de la surface d’affichage réduite.

Ce qui importe, c’est que l’ordinateur va cesser d’être le terminal possessif que nous avons connu jusqu’alors et qui n’est réellement exploitable que par une seule personne. Si la sécurité est absolument assurée, il sera même courant de stocker ses informations sur des gigantesques unités de stockage public. Toute ressemblance avec les Net PC est fortuite.

 

Daniel Ichbiah est l’auteur d’une dizaine de livre dont une biographie de Bill Gates. Son dernier livre « Bâtisseurs de rêves » relate la saga des jeux vidéo.

 

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