MacWorld - avril 97 - L’envers du futur

Manipulation d’images en temps réel

 

Il est cohérent de poser que les applications qui résident sur nos ordinateurs seront bientôt intégrés aux objets les plus courants de la vie de tous les jours. Et s’il est un domaine qui sera rapidement touché par cette évolution, c’est celui des appareils de photographie et des caméras. D’ores et déjà, de tels équipements ont été touchés par la numérisation. S’ils tardent à s’imposer c’est parce qu’ils demeurent d’un coût relativement élevé ou du moins qu’à prix égal, ils produisent des clichés et films d’une qualité très inférieure à ceux d’un appareil classique. Mais patience... Le travail de firmes telles que Kodak ou Agfa s’est jusqu’alors concentré sur la fidélité de reproduction des images captées. Une fois cette étape suffisamment maîtrisée pour permettre une production de masse, nous allons passer à la phase suivante : celle consistant à introduire de l’intelligence dans les appareils.

Quelles pourraient être les fonctions de base d’un appareil de photographie du futur ? En premier lieu, intégrer, à partir d’une disquette, n’importe quel décor derrière le personnage que l’on désire mettre en valeur. Ainsi, quelle que soit le lieu où l’on capture l’image d’un modèle, il serait possible d’opérer la photographie recherchée. Mais une telle fonction s’apparentera pour l’essentiel à un gadget. Si nous faisons entrer en jeu l’Intelligence Artificielle, il est possible d’aller beaucoup plus loin.

Vers 1986, les équipes sous-marines à la recherche du Titanic avaient fini par repérer l’emplacement de l’épave grâce à une application ad hoc. Ce qui empêchait de localiser celle-ci était l’immense couche de particules disséminées dans la masse aquatique. La solution avait consisté à renvoyer toutes les images prises par des caméras vers un logiciel convertissant celles-ci en points. Si d’une image à l’autre, un point avait changé de position, il n’était pas conservé dans l’image informatique - il était assimilé à une particule mouvante. Au final, seuls les éléments fixes apparaissaient dans la matrice de points. C’est ainsi qu’il fut possible de repérer la forme du vaisseau englouti. Intégrons une telle fonction dans un appareil de photographie numérique que nous plaçons à Venise place Saint Marc : s’il demeure en exposition suffisamment longtemps, il devient possible de photographier la façade des monuments tels quels, tous les passants pouvant être « éliminés » de l’image, puisque considérés comme des objets mouvants !

Lorsque l’on passe au traitement intelligent des visages, nous entrons dans un domaine où les fonctions deviennent littéralement étonnantes. Duncan Rowland de la St Andrews University (Ecosse) a opéré un certain nombre de recherches sur l’analyse et le morphing de dizaines de faciès. Il en a déduit d’incroyables algorithmes qui permettent par exemple de produire un visage féminin à partir d’un modèle masculin (ou réciproquement), ou encore de rajeunir ou vieillir un visage. En observant ses programmes en action, nous découvrons par exemple qu’en agrandissant un visage latéralement, nous obtenons une impression de vieillissement, ou encore que le fait de raccourcir le menton, embellit généralement l’aspect facial. Imaginons de telles fonctions dans un appareil de photographie. La pression sur des boutons permettra de rajeunir un modèle, de l’embellir plus ou moins, produire une caricature ou une émotion : peur, sourire, etc.

De semblables algorithmes pourront être intégrés dans les caméras vidéos avec un plus : il sera demain possible de remplacer en temps réel le visage d’un acteur par un modèle 3D de son choix. Toutes les fantaisies seront ouvertes, puisque chacun pourra par exemple filmer une amie sur la plage et obtenir dans le viseur Marlene Dietrich, Courtney Love ou même la Joconde en train de marcher sur le sable... En un tour de main, la même actrice improvisée pourra être dotée de la voix d’Axel Red voire même de Tex Avery lorsqu’elle s’exprime. Ajoutons à cela l’incrustation de décors et la possibilité de supprimer certains personnages de l’image et nous obtenons une palette d’effets potentiels ahurissante.

Certes, le revers de ces technologies sera qu’il ne sera plus possible d’accorder le moindre crédit aux films et photographies couramment réalisés par un tout un chacun. Le moindre appareil jetable sera en mesure de produire de faux témoignages indétectables par les meilleurs experts. Cette situation pose un sérieux problème en matière juridique, mais il faut s’y faire : l’intelligence numérique va permettre toutes les manipulations de l’image comme du son. Il sera notamment possible de faire croire que l’on était là où l’on était pas (et réciproquement). Peut-être faudra-t-il recourir à des appareils « à l’ancienne » pour produire des preuves dignes de foi.

 

Daniel Ichbiah Home Page : http://ichbiah.online.fr/noframes.htm ou http://www.ichbiah.com/