L’envers du futur - Daniel Ichbiah

L’inventeur des robots multiformes

 

J’ai rencontré Joseph Michael pour la première fois en décembre 1995. Après avoir été intrigué par un bref document capté sur Compuserve et relatif à des robots à même de prendre toutes sortes de forme, j’avais profité d’un passage à Londres pour lui rendre visite. La surprise a été totale. Cet indien vivant dans la capitale anglaise a sans doute inventé la brique de base des machines du futur. Une trouvaille tellement fondamentale qu’on peut la décliner dans les applications les plus diverses.

L’invention de Michael repose sur des cubes dont les arêtes sont telles qu’ils peuvent coulisser les uns sur les autres dans toutes les directions. Animés par des microprocesseurs d’une puissance minimale, il est possible d’amener ces empilement de cubes à prendre les formes les plus diverses. Un tabouret va se transformer en échelle, puis revenir à sa forme initiale sur simple demande, pour mieux se re-métamorphoser en table roulante. Extrapolons le concept et nous obtenons des murs dynamiques dont on peut changer l’emplacement des fenêtres à tout moment. Il y a mieux. Etant donné la flexibilité des machines créées à partir de ces cubes magiques, l’une d’elle pourrait s’introduire dans une pièce en passant par un trou de souris, pour se recomposer une fois à l’intérieur. Il est aisé d’imaginer les potentiels lors de situations critiques, un robot pouvant s’introduire dans un habitat en feu, bâtir des supports pour empêcher l’écroulement des plafonds ou des murs de protection. En fait, les applications sont si diverses qu’elles paraissent illimitées.

Lors de notre première entrevue, Joseph Michael m’avait demandé si je pouvais faire connaître son invention à Bill Gates, afin que ce dernier puisse investir quelques uns de ses innombrables dollars dans ses recherches. J’étais persuadé pour ma part que je venais en fait de croiser le futur Gates et j’ai préféré lui déconseiller d’agir ainsi. « Michael, plutôt que de montrer ton invention à une société telle que Microsoft, tu serais bien avisé d’opérer comme l’a fait Gates en étant présent dans tous les micro-ordinateurs avec ses logiciels. Dépose le brevet des robots à changement de forme et tu pourras ensuite le vendre aux constructeurs du monde entier ».

Michael a suivi ce conseil et tout au long de l’année 1996, il a dû travailler dur afin de réunir la somme de deux cent mille francs nécessaire à déposer le brevet en Europe, au Japon, aux Etats-Unis, en Chine et en Inde. De ce fait, son invention n’a pas avancée d’un iota en terme de réalisation et depuis, l’absence de moyens l’empêche de construire rapidement un prototype qui lui permettrait d’avancer dans ses négociations avec des constructeurs. Une université londonienne a entrepris de créer les premières maquettes de robots à changement de forme, mais rien ne sera visible avant quelques mois.

Très récemment, l’inventeur en a eu assez et il s’est finalement fendu d’une lettre à Bill Gates dans laquelle il détaille son invention. Rien ne prouve que le message soit remonté jusqu’au sommet, mais il n’en a pas moins reçu une réponse de Microsoft exprimant le plus vif intérêt. Un accord pourrait même être signé dans les mois qui viennent. Si le premier éditeur de logiciel au monde en venait à écrire le système d’exploitation des robots à changement de forme, il acquerrait une mainmise inouie sur les objets du futur.

A cette nouvelle, j’ai manifesté mon étonnement. Michael avait dans les mains l’équivalent de ce qui avait permis à Gates de créer un empire : un produit incontournable. Il aurait pu, s’il le désirait, ériger un nouveau Microsoft, un nouvel Apple. Sa réponse a été édifiante. « J’ai besoin de cash et je suis fatigué d’attendre. Je veux désormais voir mes machines construites. ». J’ai alors compris quelle avait été mon erreur en croyant avoir déniché un nouveau créateur d’empire. Ceux-ci sont rarement des inventeurs.

Steve Jobs a fondé Apple en exploitant de manière supérieurement judicieuse le potentiel créatif de son compère Steve Wozniak. Nolan Bushnell, l’homme qui a porté Atari aux nues, s’appuyait pareillement sur les dons d’ingénieurs talentueux tels que Al Alcorn. De même, Jim Clarke a su voir dans le logiciel Mosaïc qu’avait créé Marc Andresseen ce qui pouvait devenir Netscape. Quant à Bill Gates, s’il est doté d’une qualité rare, c’est celle qui consiste à catalyser les potentiels de ceux qui l’entourent, mais lui-même n’a jamais rien inventé.

Il a manqué à Joseph Michael de croiser sur son chemin l’équivalent d’un Steve Jobs qui eut été en mesure de bâtir un Apple du 21ème siècle à partir de son idée brillante. L’inventeur peut ériger une jolie fortune s’il prélève une infime partie des droits sur les machines qui exploiteront sa création, mais on peut comprendre qu’il ait peu envie d’entrer dans l’arène où les financiers se battent à coup d’annonces et d’OPA.

 

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