Chronique janvier 1997

La 3D palpable

Daniel ICHBIAH

 

Observez bien vos Macintosh actuels avec leur écran volumineux, leur clavier et leur unité centrale. Ils sont en voie de disparition. Tout comme les PC et stations de travail. L’évolution récente de l’informatique trace une direction claire, celle de la 3D, ou représentation en trois dimensions. Pourtant, la technologie actuelle est encore embryonnaire. Les jeux à la Quake avec vision subjective et impression de profondeur, les applications de la Réalité Virtuelle ou celles de Quicktime VR et les simulateurs de vol sont autant de tentatives pour donner une impression artificielle de 3D. Mais toutes ne sont que des ersatz de la vraie 3D, celle qui se caractérise par une sensation de volume, de plus ou moins grande solidité et un contact tactile. Le meilleur des jeux 3D se déroule encore et toujours sur une surface physique à deux dimensions, celle de la surface de l’écran.

Au vu de la progression technologique qui rend possible l’insertion de puces intelligentes, de capteurs et émetteurs sur des surfaces de plus en plus proche du microscopique, il est logique de voir l’informatique s’incruster dans les objets les plus courants. A terme, il ne sera plus nécessaire de posséder un ordinateur en tant que tel puisque la plupart des objets seront dotés d’intelligence et de capacités de communication. Nous allons entrer dans le règne d’une véritable 3D, qui sera « palpable ». L’exemple couramment cité est celui de la porte de l’appartement qui saura reconnaître son propriétaire, éliminant ainsi le besoin de clés.

Qu’en est-il des applications spécifiques des ordinateurs d’aujourd’hui ? Prenons la plus couramment utilisée, le traitement de texte. Aujourd’hui, elle nécessite de s’asseoir devant un écran, lancer un logiciel, taper le texte puis l’imprimer. Que d’intermédiaires pour arriver au produit final. Dans un premier temps, une telle application pourrait être remplacée par des tablettes universelles reconnaissant l’écriture ou la commande vocale. Il suffirait d’introduire une ou plusieurs feuilles pour que le texte soit imprimé. Dans un deuxième temps, avec la baisse des coûts, il est probable que nous manipulerons l’équivalent d’un papier intelligent doté des fonctions précités, si ce n’est que le texte sera dicté-imprimé sur son support final.

Extrapolons sans réserve et imaginons ce que pourrait être une encyclopédie en 3D palpable. Lorsque l’étudiant demanderait ce qu’est une améthyste, il obtiendrait aussitôt une réplique parfaite de cette roche qu’il pourrait manipuler. Lorsqu’il voudrait des renseignements sur un sujet volumineux à matérialiser, celui-ci pourrait apparaître sous forme miniature. S’il désire savoir comment s’est déroulée Waterloo, il pourrait voir la bataille en modèle réduit se dérouler dans la pièce, ou sur la table.

Plus loin encore, il est probable qu’une pièce des appartements du futur soit dédiée à l’informatique en 3D palpable et qu’elle permette la matérialisation de toutes sortes de formes pendant le temps désiré. Les créateurs de telles applications pourraient jouer habilement sur le binôme image / matière pour simuler le réel. Les objets éloignés apparaîtraient sous forme de simulations imagées. Dès que l’on s’approcherait d’un périmètre, les objets - y compris les corps des gens temporairement clonés - se matérialiseraient de manière imperceptible et en temps réel. On pourrait jouer aux échecs avec un chinois, et lui serrer la main après la partie. Les jeux de rôle permettraient d’évoluer dans de véritables labyrinthes, de vastes plaines ou montagnes, le décor solide se déplaçant au fur et à mesure que l’on avance.

Il suffit de regarder l’évolution accomplie en cinquante ans d’informatique et de la transposer vers 2.050 pour voir qu’une telle évolution est possible. D’ores et déjà, la « nanotechnologie » travaille sur la possibilité de reconstituer une matière depuis l’atome, et il est raisonnable de penser qu’au milieu du siècle prochain, elle sera suffisamment maîtrisée pour permettre les applications précitées. Peut-être l’évolution sera-t-elle plus lente, mais elle paraît inéluctable. Le siècle qui se termine a fait la part belle à la deuxième dimension par le biais du cinéma, de la télévision et des ordinateurs. Demain, le nec plus ultra résidera dans la 3D palpable, avec des objets de tous les jours qui exécuteront des logiciels de manière invisible. Dans cette mesure, l’ordinateur tel que nous le connaissons - mais aussi le téléviseur, le téléphone et autres objets volumineux de notre décor - sont condamnés à disparaître. A long terme, cette nouvelle informatique devrait changer fondamentalement notre rapport à l’espace et au monde qui nous entoure.

 

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